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29 décembre 2010

Les naufragés de l'île Tromelin

Le temps, la pluie m'abrutissent, la brume qui recouvre tout me fait me blottir au fond du canapé avec, à mes côtés, le livre que je viens d'achever. Les naufragés de l'île Tromelin d'Irène Frain.
Ça commence par une photo de mer turquoise prise dans une tempête, écume blanche et ancre échouée.
L'île des Sables coincée entre l'île Bourbon (la Réunion), l'île de France (l'île Maurice) et Madagascar, jamais île n'a porté aussi bien son nom, un caillou, un bloc de corail venu on ne sait comment, grand d'à peine un kilomètre carré. Tout se passe là. En 1761, l'Utile, navire français, fait naufrage, les survivants échouent sur cette île. Une centaine de marins blancs et la cargaison clandestine noire qu'ils transportaient...quelques quatre-vingt esclaves arrachés à leur terre. 
Malgré tout, une sorte de cohabitation s'installe et ceux qui mettent le plus d'ardeur à construire la prame, ce sont eux. Ce sont eux aussi que le nouveau capitaine ne pourra embarquer et que personne ne voudra revenir chercher. 
Quinze saisons des ouragans plus tard, on y retrouvera sept femmes et un bébé. 

ile_tromelinQuand on voit cette photo de l'île Tromelin, on se demande vraiment comment ils ont pu survivre aussi longtemps... au-delà du romanesque qui se dégage du résumé, il faut savoir que c'est une histoire vraie, une histoire de l'Histoire de France qui amènera Condorcet à lutter pour l'abolition de l'esclavage. 

J'ai lu ce roman avec un immense plaisir, c'est passionnant, angoissant, très bien raconté. On croirait presque qu'Irène Frain était là, sur le bateau, sur l'île avant et après. Sur cette île qui est le personnage principal de cette histoire, où toute la première partie lui est entièrement consacrée, entrant dans le vif du sujet, sur une terre hostile, inhabitable, désertique, rien n'y pousse, rien à boire.
Mais c'est aussi cela, l'île. D'un côté, la cruauté extrême. Et de l'autre, la résistance, l'obstination à vivre. Dans tous les cas, l'acharnement.*
Avec une plume habile, Irène Frain va nous compter ce bout de passé méconnu comme un roman, nous faisant partager le monde maritime de l'époque, l'attachement et la personnalités des marins, le commerce des esclaves, les ambitions politiques des uns et des autres, la soif de l'or, l'ambition, le racisme public.

On transpire avec les naufragés sur cette oasis d'enfer, on souffre, on connaît la fin mais on espère quand même que la quatrième de couverture ait menti, que l'objet de leur survie ne soit pas aussi l'objet de leur perte, cette île qui agit de la même façon avec les tortues et les humains. On s'attache aux personnages et même un peu à l'île. 
Inutile de dire que je conseille vivement ce livre, à la fois document, récit, le début avec le descriptif de l'île m'a fait beaucoup penser à Lost..., pour l'humanité qui en ressort, et l'inhumanité de la non-action.

À deux encablures de l'île, l'abîme commence. Et les grandes houles, les courants sans fin. Il faut vraiment jouer de malchance pour se retrouver sur ce bloc de corail cerné par les déferlantes. Ou n'avoir peur de rien.
Pour pouvoir en repartir, il faudra aussi compter sur l'inconscience. A moins de  chercher son salut dans l'énergie du désespoir. Nul ne s'est jamais installé ici. L'île est sans mémoire. Seuls les ouragans laissent leur trace dans les sables. Le reste va vite se perdre dans le vent, le tonnerre des lames qui, sans relâche, harcèlent les récifs. Nuit et jour, la mer bat. Elle flanche rarement. Même lorsqu'il fait beau. Quand elle consent à se calmer, c'est presque toujours dans les heures qui précèdent un cyclone. Ensuite, elle se déchaîne comme jamais, jette à l'assaut de l'île des vagues géantes qui l'engloutissent aux neuf dixièmes. Elle ne reflue qu'une fois l'ouragan passé. Pour recommencer comme avant. Même pouls méchant, têtu, même lames qui frappent, fracassent et brisent, déferlent et redéferlent, frappent encore, roulent et cassent, broient, éparpillent, émiettent, s'acharnent contre cette minuscule plaque de corail perdue au cœur de l'océan.*
Puis l'île ressuscitera comme toujours. Blindée dans sa vieille cuirasse. Les sables, comme d'habitude, seront jonchés de cadavres d'oiseaux, les veloutiers arrachés jusqu'à la racine, les bernard-l'hermite noyés, mais elle renaîtra. Fidèle à ce qu'elle a toujours été, féroce, ultra dure. Dans un an ou dans dix, peu importe. Ici, le temps n'a pas de jointure, tout se confond, l'instant avec le siècle, l'heure et le millénaire, la fin du monde et son premier matin. Coquillages vides, oeufs brisés, nids de tortues, sillages de crabes, ossements blanchis, envols de plumes, griffes d'oiseaux imprimées sur une vaguelette de sable : l'histoire de l'île se résume à des traces. Éphémère dessin de la vie qui va et vient. Et reva et revient, sans trop savoir ce qu'elle cherche, sinon à se reproduire. Avant, une fois de plus, de se reperdre. Dans la mer, le plus souvent. Qui n'arrête jamais, elle non plus. Qui continue de battre, de casser, fracasser, s'acharner. Mais l'île tient toujours. Sans même savoir qu'elle tient. Univers plus qu'inhumain : étranger à l'humain. Monde sans date. Île sans nom.*

* page 27, 19 et 28 de l'édition Michel Lafon

Le dossier de presse sur la mission archéologique partie sur les traces de l'Utile en 2008
Le site du livre avec de nombreuses photos

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