Sur la route
Sur la route, c’est l’histoire de Sal Paradise. De Sal et de son pote Dean Moriarty, l’élément perturbateur.
C’était
dans l’après-guerre, une histoire d’allers-retours d’Est en Ouest, et
même parfois jusqu’au Sud. Une histoire chaotique comme une route de
montagne, explosive comme un excès de vitesse sur l’autoroute, rapide
comme quand Dean bloque la pédale d’accélérateur, les cheveux au vent,
à conduire une décapotable volée.
Ce livre est un livre de voyages,
de quête initiatique, de chemins parcourus. Dans un style nerveux, où
les phrases se bousculent les unes derrières les autres, rajoutent une
virgule pour se prolonger et se perdre dans les méandres du récit.
Désordonné, un peu confus mais toujours vivant, vivace, prenant.
On
se dit qu’on prendrait bien la première voiture venue et qu’il serait
agréable de tailler la route. Mais pour nous, jeunesse du 21ème siècle,
il ne faudrait pas seulement tracer la route mais remonter le temps.
Revenir à l’époque du bop, des routes désertes, du plein d’essence à 3
dollars, de l’absence de radars, de chômage, de l’insouciance du
lendemain.
Bref en plus d’être culte, ce livre a le mérite de nous
faire voyager, certes par procuration mais voyager quand même. Ça fait
envie, comme un air de regret d’être né à une période foireuse.
430
pages de kilomètres, sans un moment de calme pour reprendre son
souffle. C’est parfois un peu fatiguant à lire, d’autant qu’il y a
énormément de personnages et qu’il faut arriver à suivre. Mais ça rend
bien cette ambiance fiévreuse qu’ont l’air de vivre les personnages
pendant ces années débridées.
Par contre, j’ai trouvé que ça
finissait de façon un peu spéciale. Pas tellement le roman en fait mais
plutôt la relation entre Dean et Sal, relation vraiment particulière
dont on arrive jamais à savoir ce qu’il en est vraiment.
J’ai eu un
peu de mal à rentrer dans le roman, j’ai du le commencer deux fois,
tellement c’était dense, fourni, riche de descriptions d’un paysage
complètement inconnu de moi.
Ça a le goût de la nostalgie du
souvenir, mais celui vibrant de la jeunesse libre. Une sorte de Las
Vegas Parano en plus profond et plus spirituel.
Enfonçons-nous
dans la nuit occidentale à la suite de ces mauvais garçons au cœur pur,
« enfants de la nuit bop » ; tricheurs d’Amérique et aussi d’ailleurs,
hurlant leur peine, et que « Personne n’écoute là-haut » - extrait de la préface de Michel Mohrt de l’édition Folio
«
La ville de Gregoria était devant nous. Les gars dormaient et j’étais
seul au volant de mon éternité et la route filait droit comme une
flèche. Ce n’était pas comme si j’avais roulé en Caroline, ou au Texas,
ou en Arizona ou en Illinois ; mais comme si j’avais parcouru le monde
et les lieux où nous irons finalement quêter les leçons des Indiens
Fellahs de l’univers, essentielle engeance de la primitivité
fondamentale, humanité gémissante qui entoure d’une ceinture la bedaine
équatoriale de la terre depuis la Malaisie jusqu’à l’Inde, le
sous-continent immense, à l’Arabie, au Maroc, aux déserts et aux
jungles identiques du Mexique et, par-dessus les flots, jusqu’en
Polynésie, au Siam mystique de la Robe Jaune et autour, tout autour, si
bien que l’on entend la même lugubre lamentation le long des murs
pourris de la Cadix d’Espagne qu’à douze mille milles de là dans les
abîmes de Benares, la Capitale du Monde. Ces gens étaient
indubitablement des Indiens et les Panchos du stupide folklore de
l’Amérique civilisée ; ils avaient des pommettes saillantes et des yeux
bridés et des manières fort douces ; ce n’était pas des pantins, ce
n’étaient pas des clowns ; c’étaient des Indiens pleins de grandeur et
de gravité, la source même de l’espèce humaine qu’ils avaient
engendrée. Les migrations sont chinoises mais la terre est chose
indienne. Essentiels, tels des rocs dans le désert, ils se dressent
dans le désert de « l’histoire ». Et ils savaient cela tandis que nous
passions, tels des Américains vaniteux et richards qui venaient
apparemment faire la foire sur leurs terres : ils savaient qui était le
père et qui était le fils de l’antique vie sur cette terre et ils se
gardaient de tout commentaire.
Car, lorsque viendra le temps de
l’anéantissement pour le monde de « l’histoire » et que l’Apocalypse
des Fellahs luira de nouveau comme tant de fois auparavant, le peuple
aura le même regard fixe au fond des cavernes du Mexique et le même
regard au fond des cavernes de Bali où tout a commencé et où Adam fut
allaité et initié à la connaissance. Tel était le cours de mes pensées
tandis que je conduisais l’auto jusqu’à Gregoria, ville brûlante et
cuite par le soleil. »
Sur la route, Jack Kerouac, pages 396 et 397, éditions Folio